– Octave Barlier, de la Coloniale à la Grande Guerre

par Patrick Darbeau le 14 août 2018 (modifié le 07/12/2022)

Nous pensons tous que la guerre est la pire des choses…

Et si elle est le théâtre de scènes les plus affreuses qui donnent envie de quitter à jamais le monde des hommes, elle est aussi le lieu fortuit pour révéler son courage, sa bravoure et sa solidarité, qui ne sont pas les pires manifestations de la conscience humaine.

Démonstration avec l’exemple de quelques héros issus de ma famille.

Le sens du combat au service de la Nation

Octave Barlier
Octave Barlier (1883-1949)

Octave BARLIER voit le jour le lundi 8 octobre 1883 à Thuret (Puy-de-Dôme), une petite commune de Limagne à mi-chemin entre Riom et Vichy. 

Il est le fils légitime de Jean, cultivateur, âgé de 26 ans et de Françoise REDON, son épouse, âgée de 20 ans, tous deux également originaires de Thuret.

Il s’agit de mon grand-oncle, le frère aîné de ma grand-mère paternelle Marie Joséphine BARLIER.

Mon lien de parenté avec Octave Barlier


Octave sera d’abord militaire de carrière, puis employé des P.T.T.

En 1901, Il figure au recensement effectué à Thuret ​​​​et vit donc avec ses parents, et sa soeur Joséphine (ma grand-mère) de 5 ans sa cadette.

En 1903, Octave exerce la profession de cultivateur manouvrier. C’est un homme de petite taille (1 m 61), yeux bleus et cheveux châtain clair, mais aussi un solide gaillard sculpté dans le roc. Il a le tempérament bagarreur, et trouve toujours quelques occasions pour se frotter aux autres.

Par exemple, le 23 janvier 1904, Octave est condamné par le Tribunal Correctionnel  de Riom à la peine d’un mois de prison pour « coups et blessures » avec sursis à l’exécution.

La presse régionale s’en fait même l’écho. L’Avenir du Puy-de-Dôme, dans son édition du 25 janvier 1904, mentionne brièvement :

RIOM 
Tribunal  correctionnel.  — Audience  du 23 janvier.
Présidence: M. de Taillandier, président.— 
Ministère public : M. Riégert,  substitut. 

Coups et blessures. — Les nommés Barlier Octave et Rambaud Jean, cultivateurs à Thuret  sont poursuivis pour coups et blessures sur les nommés Mimy et Legay également cul­tivateurs à Thuret. Un mois de prison à chacun avec le béné­fice de la loi de sursis.

Le Moniteur du Puy-de-Dôme, dans son édition du même jour, est un peu plus explicite :

Le Moniteur du 25 janvier 1904
Le Moniteur du Puy-de-Dôme du 25 janvier 1904


Les sieurs Rambaud Jean, 26 ans, et Barlier (*) Octave, 20 ans, cultivateurs à Thuret, sont poursuivis pour coups et blessures.
Le 15 décembre 1903, vers 9 heures du soir, le sieur François Mimy, 56 ans, re­venait d’Aigueperse en compagnie du sieur Legay.  En sortant d’une auberge, où ils avaient pris une consommation, Mimy et Legay s’aperçurent qu’ils étaient suivis par deux individus.  En effet, à une cinquantaine de mètres de l’établisse­ment, les individus — qui n’étaient au­tres que Rambaud et Barlier — se jetèrent sur le sieur Mimy, qui fut renversé à terre et piétiné. Ayant voulu intervenir en faveur de son  camarade, Legay fut aussi maltraité. 
Barlier n’a pas d’antécédents judiciaires. Rambaud a été condamné déjà en 1896. 
Le tribunal condamne les prévenus à un mois de prison chacun, avec sursis.

(*) Transcrit par erreur sous le nom de Barrier

Octave n’aura à priori pas d’autre avertissement. En 1903, après le fameux tirage au sort où il se verra attribué le n° 40, il se soumettra, avec ses sept autres camarades domiciliés à Thuret, à la visite du Conseil de révision et sera déclaré « bon pour le service ». Ensuite, ce sera la traditionnelle photo des conscrits de la classe 1903, photo retrouvée chez mes grands-parents à Thuret.

Classe 1903 de Thuret
Au 2ème rang (de g. à d.) :  Marius Cotte (n° 31) – Etienne Mosnier (n° 78) –
Jean Baptiste Seguin (n° 23) – François Valadier (n° 6)
Au 1er rang  (de g. à d.) : Gilbert Coursolle (n° 13) – Octave Barlier (n° 40) – Jean Busson (n° 75) 
Joseph Waille (n° 36)
(Les conscrits ont été identifiés à partir des n° de tirage qu’ils portent sur leur chapeau)



Octave Barlier est appelé à faire son service militaire en 1904 (Classe de mobilisation 1903 – Registre matricule 308). Parti en détachement le 23 novembre 1904 pour rejoindre le 4ème régiment de Zouaves, il arrive au corps le 26 novembre et immatriculé sous le n° 10727 comme zouave de 2ème classe. De là, il part pour faire campagne en Tunisie du 25 novembre 1904 au 26 juillet 1907 pour réprimer le soulèvement de nationalistes. Envoyé dans la disponibilité de l’armée active le 26 juillet 1907, et donc libéré, le certificat de bonne conduite lui est accordé.

De retour à Thuret, Octave reprendra à contrecoeur, son métier d’ouvrier agricole. Mais il n’a pas le tempérament pour rester ainsi s’occuper à la besogne. Il rêve d’aventures, de contacts, de confrontations…

Le service militaire lui a donné l’occasion d’expériences et de voir du pays, comme on dit par chez nous, et les campagnes menées pendant près de trois ans en Tunisie l’ont imprégné de ce besoin d’aventures.

Aussi, il décide de se réengager dans l’armée : il signe son contrat pour 3 ans à terme fixe le 15 février 1910 pour le 5ème Régiment d’Infanterie coloniale. Il arrive au corps le 16 février 1910 et immatriculé sous le n° 5820 comme soldat de 2ème classe.

Campagne de recrutement dans les troupes coloniales


Le 2 mars 1911, avant même d’avoir fini son contrat,  il se rengage à nouveau pour 4 ans à compter 15 février 1913. Le 9 mars 1911, il passe au 5ème Bataillon de Marche du Maroc.

A la même période, au printemps 1911, les rivalités colonialistes au Maroc enclenchent un engrenage qui va conduire à la Première Guerre mondiale. Rappelons qu’au début du xxe siècle, la France, qui administre l’Algérie colonisée depuis la conquête de 1830, se préoccupe de la sécurité de sa frontière avec le Maroc, tout en lorgnant sur ce pays. Le royaume chérifien était alors l’un des derniers pays non colonisés d’Afrique, et suscitait la convoitise de plusieurs puissances européennes, au premier rang desquelles la France, ainsi que celle de l’Empire allemand qui estimait avoir un retard à rattraper en matière de colonies. [1]

En mars 1911, le sultan Moulay Abd al-Hafid, menacé par une révolte, demande à la France de lui prêter main-forte. En mai, les troupes françaises occupent Rabat, Fès et Meknès. L’Allemagne, inquiète pour ses prétentions sur le Maroc, considère cette occupation comme une violation des accords d’Algésiras et décide de réagir.

Les autorités françaises à Rabat


La campagne du Maroc, aussi appelé pacification du Maroc ou guerre du Maroc, est une guerre coloniale militaire et politique française amorcée sous la responsabilité de Hubert Lyautey, alors général, pendant le règne de Moulay Abdelaziz. Elle vise à combattre les résistances marocaines à l’établissement du protectorat français au Maroc.

Octave BARLIER fait la campagne du Maroc (guerre) du 9 mai 1911 au 29 novembre 1911. Du 5ème Bataillon de Marche du Maroc, il passe au 5ème Régiment d’Infanterie Coloniale le 24 septembre 1911. Octave BARLIER est décoré durant cette période pour ses actes de bravoure de la Médaille coloniale (agrafe Maroc).

Médaille commémorative attribuée le 15 juin 1913 à Octave BARLIER

Passé au 11ème Régiment d’Infanterie Coloniale le 30 octobre 1912, il part en campagne en Cochinchine [2] et y fera la guerre du 30 octobre 1912 jusqu’au 1er août 1914, notamment pour empêcher les migrants chinois d’envahir cette possession française. Durant cette même période, il passe au 24ème Régiment des Tirailleurs Coloniaux le 1er janvier 1914, puis au 20ème Bataillon Sénégalais le 4 mars 1914. Il sera promu Caporal le 1er février 1914.

Maison d’un colon en Cochinchine


Puis arrive le conflit avec l’Empire allemand. Dés la déclaration de guerre (3 août 1914), Octave BARLIER est mobilisé et envoyé sur le front. Il fera campagne contre l’Allemagne du 2 août 1914 jusqu’au 23 octobre 1919. Passé au 2ème Régiment d’Infanterie Coloniale [3] le 16 avril 1915, il est promu Sergent le 16 septembre 1915.

Nouvellement gradé, et plein d’entrain, il participe à la célèbre bataille du Moulin de Souain. (Lire un extrait de l’Historique du 2ème R.I.C.).

La bataille de Champagne – 25 septembre 1915


Pour se rendre compte de la terrible tragédie que représente cette bataille, je vous propose également de lire ce récit tiré du roman « Le Garçon » de Marcus Malte [4].

Dans ce déluge de fer et de feu, Octave BARLIER sera blessé à Souain le 25 septembre 1915  : une plaie perforante par balle à la main droite.

Les pertes pendant les journées des 25, 26, 27 et 28 septembre dans les rangs du 2ème R.I.C.  sont considérables : 
Officiers : 7 tués, 15 blessés, 4 disparus ; 
Troupe : 46 tués, 345 blessés, 538 disparus. [5]

Eglise de Souain totalement détruite


Le 28 janvier 1916 le général Gouraud attribuera au 2ème Régiment d’Infanterie Coloniale sa première citation à l’ordre de l’armée :

« Citation à l’Ordre de la IVe armée en date du 28 janvier 1916
S’est signalé depuis le début de la campagne par sa solidité et son endurance.
Le 25 septembre 1915, brillamment enlevé par son chef, le lieutenant-colonel MOREL qui a été grièvement blessé, s’est emparé de cinq lignes de tranchées fortement organisées, se portant d’un seul élan jusqu’à des positions d’artillerie ennemie, faisant de nombreux prisonniers et s’emparant d’un matériel important. A tenu ensuite solidement le terrain
conquis, sous un bombardement intense et a donné une nouvelle preuve de son allant et de son énergie, dans l’attaque du 29 septembre.» Fin de citation.

Le Cimetière National de Souain


Au total, la seconde bataille de Champagne aura fait 27 851 tués, 98 305 blessés, 53 658 prisonniers et disparus du côté français. et des pertes beaucoup plus faibles du côté allemand. Le front aura progressé de quatre kilomètres.

Après une courte période de convalescence, Octave BARLIER passera au 43ème Régiment d’Infanterie Coloniale le 24 janvier 1916 et continuera à braver le feu, le fer, le froid, le sang, la mort…

Drapeau du 43ème R.I.C.


Il est cité à l’ordre de la Brigade le 17 septembre 1916 pour des actes de bravoure, puis il est à nouveau cité à l’ordre de la Brigade le 20 septembre 1917.

Au cours d’une courte permission, il se rend dans le midi de la France, et décide de contracter mariage. C’est alors qu’il s’unit avec Adeline Francine LEYDIER, 45 ans, bouchonnière, de 12 ans son ainée, la fille d’Etienne LEYDIER, cultivateur, et de Françoise Philomène CASTAGNE, tous deux décédés.

Certificat de publication de mariage


Le mariage sera célébré le vendredi 2 février 1917, en présence de quelques amis, à la mairie de Puget-sur-Argens, petite commune située à côté de Fréjus dans le Var. Octave a alors 33 ans, son épouse Francine 45 ans.

Passé au 7ème Régiment d’Infanterie Coloniale le 28 janvier 1918, puis au 3ème Régiment des Tirailleurs Sénégalais le 29 avril 1918, il se réengage pour 2 ans 7 mois et 20 jours le 25 juin 1919 pour compter du 25 juillet 1919.


A partir du 24 octobre 1919, il fait la campagne du Dahomey[6] jusqu’au 18 août 1920. Octave BARLIER est décoré le 16 juin 1920 de la Médaille militaire. Il recevra en outre la Croix de Guerre.

Campagne du Dahomey
Campagne du Dahomey


Passé au 4ème Régiment d’Infanterie Coloniale le 19 août 1920, puis au 2ème Régiment d’Infanterie Coloniale du Maroc le 20 mai 1921, Octave BARLIER fera à nouveau la guerre au Maroc du 20 mai 1921 au 1er novembre 1921 et recevra deux nouvelles décorations : la Médaille coloniale du Maroc (agrafe Maroc) et la Médaille commémorative du Maroc.

Octave Barlier et Francine Leydier vers 1921

En 1921, il est recensé avec son épouse à Puget-sur-Argens (83).

Passé au 150ème Bataillon des Tirailleurs Sénégalais le 1er septembre 1921, il se réengage pour 23 jours le 21 mars 1922 pour compter du 15 mars 1922.

Libéré du service actif le 8 avril 1922, il passe ensuite dans l’armée territoriale au 5ème Régiment d’Infanterie coloniale et on lui accorde le Certificat de bonne conduite.

En 1923, Octave BARLIER et son épouse Adeline s’installent à Charolles (71106), à l’Hôtel du Midi.


En 1924, Octave habite à Aubervilliers (93001), 51 rue Sadi Carnot. Il s’inscrit sur la liste électorale de cette commune. Il y exerce alors le métier de mécanicien. C’est certainement à cette époque que les époux se séparent, Adeline vivant difficilement ces longues périodes d’absence loin de son mari.

Il figure dans le recensement effectué dans cette ville en 1926, et y exerce alors la profession de comptable ; son épouse, elle, est recensée à Puget-sur-Argens, sa ville natale, où elle s’installe définitivement.

Octave et Adeline divorceront quelques années plus tard, sans postérité. En effet, il n’y a pas d’enfants connus pour ce couple.

En 1930,  Octave BARLIER habite à Dammartin-sur-Tigeaux (77154), chez M. FERRANDEAU, certainement suite à des changements d’affectation.

Il est libéré définitivement de toutes obligations militaires le 13 octobre 1932. Il entre dès lors dans l’administration des Postes, Télégraphes et Téléphones et y exerce la fonction de facteur.

Le traditionnel calendrier des PTT (Edition 1936)


En 1936, il est recensé à Saint-Mard (Seine-et-Marne). Il habite alors dans un petit hôtel, ou une pension de famille, situé avenue de la Gare et géré par M. COUVAL Marcel.

Son ex-femme, Adeline Francine LEYDIER, décède dans la solitude le 12 avril 1939 à Puget-sur-Argens ; elle a 67 ans.

Puis survient la Seconde guerre mondiale. Cette période ne laisse aucune trace de sa vie qui semble s’être arrêtée. Octave  entretient peu de relation avec ses parents installés en Auvergne, et sa sœur Marie Joséphine qui s’est mariée en 1908 avec Antoine DARBEAU. Son père Jean BARLIER meurt à 87 ans le 24 février 1944, Octave est alors âgé de 60 ans.

En 1949, Octave BARLIER habite toujours à Saint-Mard (77420), 16, rue du Moutiers,  où il décède le mardi 15 février 1949 à 23 heures, à l’âge de 65 ans, avec la satisfaction d’une vie bien remplie.

Acte de décès de BARLIER Octave
Acte de décès de BARLIER Octave


La table des successions tenue par le service de l’Enregistrement de Dammartin-en-Goële (77) indique qu’il est veuf de Francine LEYDIER et laisse pour seule héritière sa mère, Françoise REDON veuve BARLIER, domiciliée à THURET, laquelle décèdera à son tour le 19 mars 1955 à l’hôpital-hospice d’AIGUEPERSE (Puy-de-Dôme) à l’âge de 92 ans.

[1] Source Wikipedia
[2] La Cochinchine est une région historique au sud de l'actuel Viêt Nam. Elle correspond grossièrement aux régions administratives vietnamiennes actuelles du Delta du Mékong et du Sud-est.
En 1862, la partie méridionale de la Cochinchine est colonisée par les Français : dès lors, le nom de Cochinchine désigne exclusivement la Cochinchine française (jusque-là appelée Basse-Cochinchine), qui devient ensuite l'une des composantes de l'Indochine française. En vietnamien, cette partie est appelée Nam Kỳ (南圻, 1834–1945), ou Nam Bộ (南部), signifiant « partie sud ».
[3] 2ème R.I.C. : Un des régiments martyrs de la guerre de 1914-1918 présent sur les fronts les plus rudes et les plus meurtriers, il a été reconstitué plus de dix fois, et a perdu environ 20.000 tués et blessés, dont 825 officiers.
[4] Le Garçon est un roman de Marcus Malte paru le 18 août 2016 aux éditions Zulma ayant reçu la même année le prix Femina. Wikipédia
[5] Source : Historique du 2ème Régiment d'Infanterie Coloniale (Ministère de la Guerre) - B.N.F.
[6] La colonie du Dahomey est le nom officiel de l'actuel Bénin lors de la colonisation française de 1894 à 1958 ; elle prend le nom de république du Dahomey, en tant qu'État associé de la France entre 1958 et 1960, puis après son indépendance en 1960 et jusqu'en 1975.