– Jean Barlier, l’enfant naturel au destin tragique

par Patrick Darbeau le 1er décembre 2022

Jean BARLIER (ou BARLY – BARLIS – BARILLET [*]) voit le jour le vendredi 2 avril 1830 dans le petit village de Chassenet, dépendant de la commune de Thuret (Puy-de-Dôme). Enfant naturel de père inconnu, sa naissance est enregistrée sur déclaration de la sage-femme Françoise DUBOIS.
           [*] Voir la note en fin d’article.

Sont présents à la mairie de Thuret, en qualité de témoins :
– Annet BARLIER, oncle de l’enfant
– Jean Baptiste BARLIS, oncle de l’enfant.

L’acte de naissance de Jean Barlier

Jean est le fils naturel, de Jeanne BARLIER (ou BARLIS), âgée de 32 ans, célibataire. Celle-ci se marie néanmoins en 1841 avec François DETRUY, journalier à Thuret et veuf depuis 1829 de Jeanne MARCHADIER. Lui a 61 ans et elle en a 44.

A 11 ans, Jean trouve enfin un père qui lui manquait tant, ou plutôt un « grand-père« … Or, la nouvelle famille fondée par sa mère sera de courte durée : François DETRUY meurt le 5 juin 1847 à 67 ans. Sa mère se retrouve veuve à 49 ans.

Jean a maintenant 17 ans ; il est tant qu’il prenne la direction du foyer, et devient cultivateur.

Une vue générale de Thuret (Puy-de-Dôme)
Une vue générale de Thuret (Puy-de-Dôme)

La temps passe. Le travail des champs lui prend la majeure partie de ses journées. Il rencontre enfin Gabrielle REDON dite « Marie » (1837-1910), la fille légitime de Claude REDON et de Marie BLANC, décédée en 1853.

Marie a 8 ans de moins que lui, mais qu’importe ; les jeunes gens s’aiment et envisagent de fonder un foyer.

Marie est une charmante jeune fille de 17 ans, qui vient de perdre sa mère. Elle est aussi l’unique enfant qui a survécu au sein une fratrie de sept enfants dont le père, Claude REDON devenu veuf à 52 ans, est en proie à la solitude.

Ca tombe bien : Jean BARLIER et Gabrielle REDON (Marie pour les intimes) se fréquentent assidument, l’un rendant visite à l’autre et inversement. Elle, elle a son père qui est seul ; lui, sa mère est seule aussi… Alors pourquoi ne pas les faire se rencontrer et rassembler les familles ? Les rendez-vous sont pris, et les discussions entre les deux familles vont bon train. N’est-il pas tant de les marier ?

Jean BARLIER et Gabrielle REDON concluent un contrat de mariage le 25 mars 1855 à Aigueperse (63001), chez Me Gaspard Ruffin-Magnin, le même jour que Claude REDON, le père de la future, et Jeanne BARLIER, la mère du futur, qui envisagent aussi de s’unir.

Contrat de mariage
Contrat de mariage
de REDON Claude-BARLIER Jeanne

Les deux couples se marient un mois après, le dimanche 22 avril 1855 à la mairie de Thuret (63432), Claude REDON, le père de Gabrielle, épousant Jeanne BARLIER, la mère du futur époux de Gabrielle, et Jean BARLIER épousant la fille de son beau-père, sa mère devenant du même coup sa belle-mère, et sa femme une demi-sœur ou presque !

En fait, c’est l’inverse, le mariage de Jean et Gabrielle est célébré à 8 heures, celui de Claude et Jeanne à 9 heures. C’est donc bien Claude REDON qui épouse la belle-mère de sa fille, et Jeanne BARLIER, le beau-père de son fils.

Vue partielle des actes de mariage
Vue partielle des actes de mariage

Tout ce petit monde va vivre ensemble, comme en témoigne les relevés du recensement de la population.

Le couple Jean BARLIER-Gabrielle REDON aura douze enfants :
– Jean né en 1856.
– François né en 1858.
– Marie née en 1861.-
– Francisque né en 1863.-
– François né en 1865.
– Marie née en 1867.
– Françoise née en 1871.
– Félicie née en 1874
– Anne née en 1876.
– Marie née en 1877.
– Antoine né en 1880.
– Marie-Anna née en 1881.

Le 20 octobre 1856 à 8h00 naît le premier fils  de Jean BARLIER qui se prénommera comme lui : Jean, l’ainé. Jean BARLIER, père, est alors âgé de 26 ans.

Le 10 décembre 1858 naît son second fils François qui deviendra le parrain de son quatrième fils de 7 ans son cadet, né le 4 août 1865 et se prénommera naturellement aussi François.

Le 11 juin 1861, la famille s’agrandit ; ainsi, naît sa première fille  : Marie. 

Le 12 août 1863, naît le 3ème garçon  : Francisque.

Liste de recensement de 1866
Liste de recensement de 1866

Le 7 octobre 1867, la famille s’agrandit encore ; ainsi, naît sa deuxième fille  aussi prénommée Marie, puisque c’est la filleule de la première, tradition oblige. Jean BARLIER, père, qui vient d’accueillir son 6ème enfant, est âgé de 37 ans.

Le 29 mai 1868, son fils François, (2ème du nom) alors âgé d’à peine 3 ans, meurt dans des circonstances que nous ne connaissons pas.

Ce décès marque le début d’une longue série d’évènements tragiques.

Sa mère Jeanne BARLIER, l’épouse de Claude REDON, qui est aussi son beau-père, meurt le 14 février 1870 à 10h00 ; Jean BARLIER, père, est âgé de 39 ans.

Le 5 décembre 1871 naît sa fille Françoise. Malheureusement, la petite Françoise ne survivra pas, elle décède le 13 décembre 1871 à l’âge de 8 jours. 

Le 4 octobre 1874 naît sa fille Félicie. Celle-ci ne survivra pas non plus, elle décède le 24 du même mois à l’âge de 20 jours.

Le 29 janvier 1876 naît sa fille Anne, neuvième enfant du couple . Le 11 octobre 1876, la petite Anne meurt à l’âge de 8 mois ; Jean est âgé de 46 ans.

Le 26 octobre 1876 sa fille Marie, deuxième du nom, meurt à son tour ; elle a peine 9 ans.

Le 28 mars 1877 à 3h00 du matin, son fils François, premier du nom, meurt également à l’âge de 18 ans.

L’intérieur d’une maison de Thuret : la maison natale de Pierre Romançon (1805-1862)

Les époux BARLIER REDON prennent douloureusement conscience d’un destin ou d’une fatalité qui pèse sur leur vie. Comme pour effacer les mauvais souvenirs de ce passé tragique (3 décès d’enfants en à peine 15 mois et un seul enfant survivant sur neuf enfantés), le couple recherche un nouvel élan de foi et d’espérance. Le 15 juillet 1877 à 10h00 naît une nouvelle petite Marie. Jean est âgé de 47 ans.

Le 17 octobre 1880 naît son fils Antoine, le onzième enfant du couple. Jean est âgé de 50 ans, et son épouse Gabrielle 42 ans.

Mais tous les dès du « mauvais sort » ne sont pas encore jetés : le 6 décembre 1880 à 5h00, son fils Antoine meurt, il a un mois et demie.

Le 13 octobre 1881 naît une nouvelle fille prénommée Marie-Anna. Son douzième et dernier enfant décèdera le 28 juin 1882 à 23h00, à l’âge de 8 mois et demie.

De cette longue liste d’évènements malheureux, seuls deux enfants survivront et auront des descendants : Jean, l’ainé, qui se mariera avec REDON Françoise, sa cousine au 2eme degré (cousin issu de germain), et deviendra mon arrière-grand-père, et Marie, troisième du nom, qui épousera François MARCHADIER, dit Eugène, originaire de Varennes-sur-Morge et aura deux filles. Elle décédera le 28 août 1905 à l’hôpital-hospice d’Aigueperse à l’âge de 28 ans, laissant ses deux enfants âgés respectivement de 7 mois et 2 ans.

Jean BARLIER, père, figure dans le recensement effectué en 1886 à Thuret (63432) – Puy-de-Dôme.

Thuret - Liste  de recensement de 1886
Thuret – Liste  de recensement de 1886

La famille n’est plus alors composée que du père Jean lui-même, de sa femme Gabrielle (Marie), de la petite Marie (8 ans) future épouse MARCHADIER, et de Claude REDON, son beau-père, âgé de 84 ans, qui décèdera l’année suivante. Rappelons que le fils Jean, l’ainé, (mon arrière-grand-père) s’est marié en 1882 et a quitté le domicile familial.

À Thuret, le 1er janvier 1893, Jean BARLIER père, vit un nouvel événement tragique : il fait l’objet d’une agression physique à son domicile. Frappé à coup de hache à la jambe droite, il est hospitalisé à l’hôtel-Dieu de Clermont-Ferrand.

Le Clermontois du 6 janvier 1893 relate l’affaire en ces termes :

Le Clermontois du 6 janvier 1893

Le Clermontois du 6 janvier 1893

Le Moniteur du Puy-de-Dôme du 13 janvier relate l’affaire en ces termes :

Le Moniteur du 13 janvier 1893

Le Moniteur du 13 janvier 1893

Le Clermontois du 14 janvier revient sur l’affaire de Thuret :

Le Clermontois du 14 janvier 1893

Le Clermontois du 14 janvier 1893

Le Clermontois dans son édition du 20 janvier a précisé le sort des prévenus ; ils sont arrêtés à Aigueperse et écroués à Riom :

e Clermontois du 20 janvier 1893

Le Clermontois du 20 janvier 1893

La santé de Jean BARLIER, toujours en traitement à l’Hôtel-Dieu de Clermont-Ferrand, se dégrade. Dans le village de Thuret, des rumeurs font état que les agresseurs de Jean auraient organisé leur insolvabilité pour ne pas avoir à payer de dommages-intérêts en cas de condamnation.

La famille  de Jean décide alors de notifier aux prévenus par exploit d’huissier, le 17 février 1893, une interdiction de banqueroute. L’acte mentionne notamment :

« Qu’ils ne sauraient ignorer que le premier janvier 1893, Jean CLUZEL-GANNAT et Félix CLUZEL, son fils, ont sans motifs, ni provocation, porté des coups et fait des blessures sur la personne du requérant avec une violence et une brutalité telles que la vie du requérant a été mise en danger et qu’on ne peut prévoir après un mois et demi de traitement, quelles seront les conséquences des dits coups et blessures ;

« Mais qu’il est d’ores-et-déjà certains que le requérant, s’il conserve la vie, sera dorénavant mis dans l’impossibilité absolue de travailler ;

« Que dés lors, il est dans la nécessité d’intenter une action en dommages-intérêts contre ses agresseurs, afin de pourvoir dans l’avenir aux besoins tant de sa propre existence que de celle de sa femme, de sa fille mineure, et même de son fils chargé de famille, toutes personnes auxquelles il venait à secours à l’aide de son travail et de la profession de fermier qu’il exercait ;

« Que cette nécessité a été révélée dès le jour du crime aux « compris » ; qu’il paraît que pour s’y soustraire dans la mesure du possible, les dits « compris » se seraient alors rendus en l’étude de Maître NONY, notaire à Artonne, et à la date du trois janvier 1893, auraient passé devant ce notaire, un acte par lequel CLUZEL père se serait dépouillé de tous ses biens en faveur de ses enfants afin de se rendre insolvable ;

« Qu’il paraît aussi que les « compris » auraient depuis lors abattu et vendu des arbres d’une réelle valeur éradiqués sur les propriétés ainsi données, et qu’ils seraient même dans l’intention de vendre des dites propriétés ;

« C’est pourquoi, au nom du requérant, j’ai protesté de nullité contre la donation et les dites coupes et ventes de bois, si véritablement elles ont eu lieu, réservant formellement au dit requérant toute action en nullité à cet égard ;

« Et par même, j’ai fait défense: 1°) à CLUZEL-GANNAT et Félix CLUZEL de se dessaisir des propriétés leur appartenant, 2°) à Félix CLUZEL et aux autres « compris » de se dessaisir des propriétés appartenant à CLUZEL-GANNAT, qui pourraient à quelque titre que se soit, être advenues entre leurs mains du chef de celui-ci depuis le premier janvier 1893, 3°) à tous les « compris » d’opérer aucune coupe ou vente d’arbres éradiqués sur les dites propriétés et de grever des dits biens d’aucune dette, charge ou hypothèque protestant à l’avance de nullité contre tout ce qui serait fait au mépris des présentes et à peine de toutes actions en dommages-intérêts ;

« …..

Les deux prévenus sont déférés devant le Tribunal Correctionnel de Riom à l’audience qui s’est tenue le 1er mars 1893. Le Moniteur du Puy-de-Dôme du 3 mars relate à nouveau l’affaire de Thuret  en détail : 

Le Moniteur du 3 mars 1893
Le Moniteur du 3 mars 1893

Le Clermontois, quant à lui, annonce  brièvement la décision du Tribunal : huit mois de prison pour l’un et six mis pour l’autre.

Le Clermontois du 3 mars 1893
Le Clermontois du 3 mars 1893

Jean BARLIER ne se remettra jamais de cette agression : il est décédé le vendredi 5 mai 1893  à l’Hôtel-Dieu, boulevard de la Pyramide à 18h00, à l’âge de 63 ans, à Clermont-Ferrand (63113).

Il est mort des suites de ses blessures (probablement dû à la gangrène) après 4 mois d’atroces souffrances.

Le Clermontois du 7 mai 1893

Ainsi, s’achève l’histoire tragique d’une vie particulière émouvante et dramatique de mon aïeul, poursuivi par un destin funeste jusqu’à son dernier soupir. Sa veuve Gabrielle REDON,  dite « Marie » décèdera le 17 novembre 1910 à l’âge de 72 ans.


[*] Note concernant la graphie du nom de famille :

Un Jugement du Tribunal civil de première instance de Riom en date du 28 juillet 1869 ordonne que :

  • l’acte de naissance de Jean BARILLET soit rectifié en ce sens que le nom de BARILLET soit substitué à celui de BARILLIER ou BARLY donné par erreur.
  • l’acte de décès d’Antoine BARILLET soit rectifié en ce sens que le nom de BARILLET soit substitué à celui de BARILLIER ou BARLY donné par erreur.
  • l’acte de décès de Rosalie DARMAT soit rectifié en ce sens que le nom de Rosalie DARMAT soit substitué à celui de Rose DALMAS ou DOMAS donné par erreur.

Le jugement ordonne par ailleurs sa transcription sur les registres de naissance et de décès de la commune, que mention en sera faite en marge des actes réformés, et qu’à l’avenir les actes ne seront plus délivrés qu’avec les rectifications ordonnées.

Quid des actes d’état-civil des sept autres enfants du couple Antoine BARILLET et Rosalie DARMAT, et de leurs descendants?

Ce jugement qui n’a pas été suivi d’effet, a été rendu à la requête de Jean BARILLET, l’un de leurs enfants qui se trouve être le frère de Jeanne BARLY et par conséquent, l’oncle  de  Jean BARLIER dont nous avons relaté l’histoire familiale.

Cette rectification intervenant 70 ans après les premières erreurs commises est sans effet sur la quasi-totalité des noms de famille de  la branche ; les erreurs commises ont été actées depuis, et transmises sur plusieurs générations .